Arrivée par la mer, Islande  2005 . 2023                

      s   o   l   s   t   i   c   e   

  

         d i s p a r i t i o n   d e s   v é n u s

s o f i    h é m o n

impressions numériques jet d’encre sur papier

 

     Poussières d’Islande, sables noirs volcaniques, scories de basalte, passage du jour à la nuit, de la nuit au jour, macro-monde, micro-monde, des nuées se forment sous nos yeux. Ce qui recouvre les paupières se nomme étendue. L’étendue fusionne avec l’immensité. Nous sommes d’infini-minuscule.

    s  o   l   s   t   i   c   e      2024

Le fouillis de points entre-aperçu au déclin du jour disparait. La variété des enchevêtrements de lignes s’estompe et avec elle l’idée qu’une structure puisse être stable. En 2024, je remets en fonction des processus dynamiques de création en faisant une synthèse des solstices passés. Je rêve de bancs de poisson et trace une ligne d’un point à l’autre. Qualités amies du ciel et de la terre, ciel et mer confondus, La ligne d’horizon reste flottante. J’utilise des outils défaillants. Les trajectoires sont ponctuées d’embuche. Je crible les feuilles de trous. Je substitue les points noirs sur fond blanc par des points blancs sur fond noir. Techniquement, l’opération est simple. Sable noir, ciel noir, je suis habitée par des segments d’espace-temps. Un jour passé, un autre le recouvre, visible et invisible se côtoient. Je perds la netteté des contours. Je contourne la question du motif. Des amas de poussière apparaissent sur l’écran de l’ordinateur. Je laisse dériver l’idée d’une existence inframince. J’annonce trop tard et après tout le monde la dérive des continents et la perpective de nauffrages éminents. Je travaille sur 60 dessins format 29,50 X 41 cm. Je recherche un état  « fins débris en suspension dans l'air qui se déposent ». Il faudra assembler aléatoirement ce voile de nuit, claire voie en fin de parcours. Je prévois un gouffre entre ma vision à l’écran et le développement d’images numériques réalisé par une machine dans un système de production. La machine et l’impression l’emportent. J’accepte dans ce futur proche les simplifications et les réductions. Mon présent est foisonnant. Je vis la réminiscence de voyages en Islande.  

     Solstices Je plonge dans la respiration de l’île magmatique. Les particules fines se déposent sur le loess. J’accorde mes gestes aux jours sans fin. Un désir naît que disparaisse la forme et les limites d’un format. La nuit s’étend. Je m’affranchis des lisières et des chiffres. Et si l’égarement de la pensée annonçait la perspective d’un déclin ? Je réduis la présence des points.  J’introduis des fissures. J’efface la cime. Je vois moins bien. Je ressens plus l’obscurité. Le mouvement des plaques tectoniques m’influence, plaque nord-américaine, plaque eurasienne, une force pousse une autre force. Une force alimente une autre force. Une force plus violente destructure une force plus faible. Une force plus faible élabore des stratégies de survie imparables. Les déserts et tapis de prêle sont repoussés vers le rebord des flaques. Plus tard les sables observés au microscope m’enseignent l’immensité d’un bloc anguleux, le cratère sommital et la profondeur des océans.  J’apprends que certaines forces exercées les unes sur les autres créent des mouvements imperceptibles. La pierre ponce roule. Des épierrements le long des sillons révèlent un sol strié en faible pente, champ de lave à 6 brins, coulée lente en zone froide. Vision trouble, le crachin immerge la pupille. Je tente de me rappeler les étapes de ce cheminement. Je me souviens qu’une liberté d’action m’a envahi, une oscillation entre l’instinct,  le hasard et l’intuition. Les processus élaborés au fur et à mesure m’échappent. Les mots pourraient faire fuir l’image, disparition des vénus. 4  impressions numériques jet d’encre sur papier 310g, chacune  de 1m23 X 1m43, un chant d’amour adressé à une  fillette nommée Aurore.

         

     Sables.     Quand me suis-je mise à collecter les poussières et les sables ? Je pars au Brésil. Je cherche des indices. La lumière, le vent et la poussière recueillis dans l’encoignure des trottoirs m’aident à affronter ce statut d’étrangère occidentale. Plus je prends conscience de la force du passé colonial et de sa violence, plus ma recherche est rigoureuse. Une vision m’anime : un buisson d’herbes sèches est transporté par le vent dans le désert de la Kolyma. Au Brésil, la promesse est celle d’approcher le désert du Sertão. Je fais 3 voyages dans ce pays. Je continue la récolte.  J’ai des petits sacs. Je déploie des cartes : 4500 kilomètres de terre du nord au sud. J’établis des liens entre la matière récoltée et le paysage traversé. J’écoute le son des oscillateurs de Ollivier Coupille, le souffle du vent et le murmure de l’eau. Je fais de très petits dessins semblables à des lichens. Les lichens, y pensais-je avant que le musicien ne m’en parle ? Les symbioses végétales et animales sont prometteuses. Nous pouvons imaginer d’autres mondes et d’autres modes de collaborations.    Je pars en Islande. Les dates sont choisies en fonction de la migration des oiseaux. Le bruant des neiges s’abrite dans les ravines. L’oie rieuse du Groenland rejoint le pré salé. Le site du rêve se situe entre 2 volcans. La lumière en continue et les chants d’appel sur la lande procurent l’ivresse.  Entre 2005 et 2024, je laisse remonter à la surface une profusion de dessins aux formes hybrides. 

 

     Solstices d’hiver.     Je dépose dans des assiettes d’argile rouge numérotées les sables et les pierres. Chaque sédiment provient d’un lieu particulier. Chaque numéro est inscrit sur la carte de l’île. Plus tard, je réunis 11 boites contenants les sables d’Islande.  J’écris les lieux de récolte sur des étiquettes. Je dois pouvoir faire les liens entre un grain et un dessin. Je regroupe des milliers de pages de recherche sur feuilles volantes et en carnets à spirale.

 

     Solstices d’été.     J’affirme la disparition de certaines zones par des valeurs de gris léger. Solstices d’hiver j’accentue certains contrastes sur les lignes d’un territoire. Un carnet regroupe des lignes qui battent l’horizon. L’aube et le crépuscule orientent mes émotions.

  

     

         S  o   l   s   t   i   c   e  s    2005 . 2024      est une recherche sur les micro-variations existantes dans les formes de la nature et les micros mouvements que la lumière et l’obscurité engendrent dans les perceptions. Une série de réalisations plastiques croit au fil des saisons et des années. Initiée par la récolte de pierres, scories, sables, poussières et sel, elle oriente mes recherches et me permet d’explorer des friches, des forêts, des cavités et des falaises. Le ressac et les courants des mers participent à l’érosion des éléments et à l’exploration de ma pensée. Des boucles alluviales se transforment parfois en méandres abandonnés, j’envisage alors des nuances infimes entre une ligne et une autre ligne, entre une ligne et un point. Des liens se font et se défont. Ces mouvements transforment nos psychismes. Nord, sud, est, ouest, je transcris certaines vibrations du monde.


     Des motifs tissent nos langues et nos corps. Un motif est une rivière sous la pierre. Un dessin suggère un corps et l’archéologie d’une écriture. Un dessin chante une direction. Des répertoires de formes me lient à l’histoire de l’art des origines, l’archéologie, l’anthropologie et la géologie. J’ai reconnu et aimé ces motifs chez les populations Amérindiennes d’Amérique du nord et du sud, au Brésil et au Mexique. Souvent les êtres qui les portent sont métissés et minoritaires. Souvent ces patterns leur ont été dérobés. Ces pillages restent encrés dans ma mémoire et requièrent prudence et réflexion.   La réminiscence de ces signes passe par des gestes quotidiens transmis inconsciemment. Les formes qui nous entourent comme les habitations et les objets usuels regorgent de ces dynamiques. La faune et la flore permettent parfois de remonter jusqu'à une certaine origine. Des motifs tubercules surgissent avec détermination. Des lignes sont à poursuivre, des obstacles à éviter. L’espace parcouru est le motif même. Les peuples racines nous ont transmis cette approche du monde. L’avons-nous écouté et saurions-nous l’entendre ?



 

Solstice, disparition des vénus est un texte écrit en janvier 2024 au Fraisse en Haute-Loire durant la résidence d‘écriture au Sahus. Ce texte accompagne 2 impressions jet d’encre exposées à l’ENSA Paris-Val de Seine dans l’exposition Rapports de construction organisée par l’Association Formes élémentaires et André Avril.